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Loge de Recherche Laurence Dermott

Rechercher dans la Fraternité et la Tolérance.

L'Ordre Martiniste Traditionnel : des grades Cohens à la Voie cardiaque

Publié le 8 Novembre 2009 par Thomas Dalet in Martinisme


Les grades Cohens

Chaque degré met en scène et fait vivre à l'Initié les divers épisodes de la vie de l'homme : son émanation dans l’Immensité divine, la mission primitive donnée à l’homme, la chute d’Adam dans le monde de la matière et sa remontée à travers les sphères célestes. Décrire cette hiérarchie n'est pas chose facile, car elle a évolué au fur et à mesure où Martinès structurait son rite. De plus, les différents grades portent plusieurs noms, ce qui complique la tâche. Les catéchismes propres à chaque degré ou encore les Statuts des Chevaliers Élus Coëns de l'Univers et le Cérémonial des initiations, ne proposent pas tous la même division.

René Leforestier, Papus, Gérard Van Rijnberk, Robert Ambelain et Robert Amadou n'ont pas tous retenu la même hiérarchie. Roger Dachez, dans le revue Renaissance Traditionnelle, a publié une étude concernant la genèse des grades Cohens à laquelle nous renvoyons le lecteur. Sans nous attarder sur les divers systèmes, nous proposons ici celui qui semble la plus réaliste.

La hiérarchie Cohen débute par les trois grades « bleus », Apprenti, Compagnon et Maître, le plus souvent donnés en une seule cérémonie. Suivent les degrés de Maître Parfait Elu (ou Grand Elu sous la bande noire), d'Apprenti Elu-Cohen (ou Fort marqué), de Compagnon Elu-Cohen (ou Double fort marqué), de Maître Elu-Cohen (ou Triple fort marqué, ou encore Maître écossais). Nous trouvons ensuite ceux de Grand Maître Cohen (ou Grand architecte), de Grand Elu de Zorobabel, (ou Chevalier d'Orient), et de Commandeur d'Orient (ou Apprenti Réau-Croix). La hiérarchie de l'Ordre est couronnée par un degré suprême, celui de Réau-Croix (ou R+). Les membres de ce dernier degré participent à un travail mystique basé essentiellement sur la théurgie.
La hiérarchie de l'Ordre conduit l’initié à une gradation de purifications du corps, de l'âme et de l'esprit propres à le rendre sensible aux bonnes influences spirituelles, plus particulièrement par l'intermédiaire de son guide, son esprit compagnon, son « ange gardien ». Lorsque le Cohen a réalisé cette jonction, son esprit compagnon lui ouvre les portes du monde surcéleste qui conduit au Monde divin, à l’Immensité Divine.
L'Ordre des Élus-Cohens est dirigé par un collège de direction, le Tribunal Souverain, composé de Réaux-Croix. Ses membres portent le titre de Souverains Juges et font suivre leur signature des lettres S.J. Au XVIIIe, le « I » et le « J » écrits en majuscules ont le même graphisme, et cette similitude a entraîné quelques historiens à confondre les « S.J. » de Martinès avec les « S.I. » du Baron Hund. Le titre de S.I. n'a jamais fait partie de la hiérarchie Cohen.

8 – La théurgie

Les Réaux-Croix pratiquent la théurgie. Quelle est donc cette mystérieuse science ? Selon l'étymologie, le mot théurgie vient du grec theos, Dieu, et ergon, ouvrage. La théurgie est donc « l'ouvrage de Dieu ». Au IIIe siècle, Jamblique l’a introduit dans la philosophie, comme adjuvant à la sagesse purement spéculative dont se contentait ses prédécesseurs. Il considérait la théurgie comme une magie supérieure, visant non pas à obtenir des bienfaits matériels, mais à réaliser progressivement l'union mystique avec la Divinité. La théurgie de Martinès a les mêmes objectifs : elle a pour but de mettre l'homme en relation avec le Divin en utilisant des intermédiaires devenus nécessaires depuis la chute de l'homme, les « anges », ou plutôt, pour coller au langage martiniste, aux esprits célestes et surcélestes. La théurgie de Martinès vise essentiellement à obtenir les bénédictions des esprits bons. Elle a aussi pour but d'exécrer, de conjurer les esprits mauvais, pour chasser leurs influences mauvaises qui tendent sans cesse à éloigner l'homme de sa mission.

Appeler les esprits bons, éloigner les mauvais, nécessite de connaître leurs noms, leurs jours d'influence et les heures propices pour les interpeller à l'aide du rite approprié. Pour ce faire, Martinès confiait à ses émules Réaux-Croix, un répertoire contenant les noms, les hiéroglyphes secrets de 2400 esprits, et de multiples recommandations sur les périodes favorables aux opérations, comme les équinoxes ou les phases lunaires les plus bénéfiques. Le rituel préconisé par Martinès est extrêmement complexe à mettre en œuvre ; il réclame un lieu spécialement aménagé. Sur le sol on dessine le tableau figuratif de l'opération, un pantacle composé de cercles concentriques, de triangles et de quarts de cercles reliés aux cercles principaux. L'adepte doit prendre grand soin de dessiner les hiéroglyphes des esprits avec lesquels il désire opérer. Sur ce pantacle on place, à des points précis, des bougies dont le nombre peut aller jusqu'à plusieurs dizaines. Avant d'opérer, le disciple doit prendre soin de se livrer aux jeûnes et purifications nécessaires à l'accomplissement du culte magique.
En dehors de ces éléments que l'on retrouve dans de nombreuses pratiques anciennes, il faut souligner le caractère mystique de la théurgie de Martinès. En effet, à la lecture de ses rituels, on est surpris de l'importance qu'y occupent les prosternations, les prières, souvent extraites des Psaumes. La théurgie de Martinès ne cherche pas à diriger des forces sur quelqu'un ou à obtenir des avantages. Ce n'est pas une « magie pratique » orientée vers les petits soucis du quotidien ; c'est une sainte magie dont l'objet est l'union mystique. Tout, dans la théurgie Cohen, conduit à cette rencontre entre le visible et l'invisible. Dans cette pratique l'invisible, la Chose, se manifeste par une influence spirituelle que les Cohens appellent intellect, une manifestation émanée de Dieu ou de Ses anges.

Cet intellect ne prend jamais une forme corporelle, il se manifeste soit par un son distinct qu'il occasionne dans l'air, soit par une voix lente que les Cohens nomment « la conversation secrète entre l'âme et l'intellect ». Le plus souvent, il exprime sa présence par un hiéroglyphe lumineux. Les Élus-Cohens appelaient ces diverses manifestations des « passes ». Les instruction secrètes, les rituels Cohens et les correspondances entre Martinès et ses disciples montrent la difficulté de telles opérations. A leur lecture, on peut se demander combien furent ceux qui purent rassembler les conditions préconisées par le Souverain Grand Maître des Élus-Cohens, conditions qu'ils seraient impossible de réunir à un homme vivant à l'époque moderne. A la lecture des textes de Martinès de Pasqually, on peut se demander aussi si ces travaux n’étaient pas finalement uniquement une préparation extérieure destinées à conduire le disciple vers une communion plus intérieur avec le Divin. En effet, pour Martinès le lieu privilégié de la rencontre avec le Divin reste le cœur de l’homme, car c'est dans ce tabernacle qu’il peut recevoir les plus grandes satisfactions ainsi que les plus grandes faveurs que le Créateur lui envoie.

9 – La prière

Les Cohens devaient être des chrétiens pratiquants et plusieurs disciples protestants se convertiront au catholicisme pour se conformer à la règle. Lors de son initiation au degré apprenti, le Cohen devait prendre plusieurs engagements : le premier était de garder secrets les mystères de l'Ordre, le second d'être fidèle à la sainte religion Catholique apostolique et romaine. Avant de pratiquer les rites théurgiques, les Élus-Cohens devaient assister à une messe. Ils devaient aussi s’adonner fréquemment à la prière, en particulier à la Prière des six heures, une pratique spirituelle effectuée toutes les six heures (six heures du matin, midi, dix-huit heures et minuit). Ces prières, composées en partie par Martinès, comprenaient des lectures des Psaumes, des invocations « du saint nom de Jésus », le Pater, l'Ave Maria, ainsi que des suppliques adressées à l'ange gardien. A ces prière quotidiennes s'ajoutait aussi la « Prière qu'il faut faire quand on est couché et prêt à s'endormir ».

Pour un Cohen, il était également nécessaire de dire les sept Psaumes de Pénitences au moins à chaque renouvellement de Lune, ou tous les jours suivant les périodes de travail, de dire l'Office du Saint Esprit tous les jeudis, de réciter le Misere, debout face à l'Orient, et le De Profundis, face contre terre. Plus le disciple avançait dans la hiérarchie, plus les obligations, prières, jeunes, abstinences augmentaient. Comme on peut le constater, la vie d'un Cohen était bien remplie et demandait une disponibilité totale. Elle n'avait rien à envier à celle d'un moine.

La magie de Martinès était une « sainte magie », ayant pour but de conduire le disciple à une vie spirituelle de plus en plus intense. L'abbé Pierre Fournier nous indique que les instructions journalières de Martinès « étaient de nous porter sans cesse vers Dieu, de croître de vertus en vertus, et de travailler pour le bien général ; elles ressemblaient exactement à celles qu'il paraît dans l'évangile que Jésus-Christ ». D’Hauterive, dans une lettre du Fonds Du Bourg, précise le travail d’un Cohen en ces termes : « La réjection continuelle de la pensée mauvaise, la prière et les bonnes œuvres : voilà les seul moyens d’avancer dans la découverte de toutes les vérités, et, ce qui est encore au-dessus, la pratique de toutes les vertus ». L'exigence de telles pratiques rebutera de nombreux disciples venus chercher le merveilleux et peu enclins à suivre des règles aussi contraignantes.

10 – L'entrée en sommeil

A son arrivée à Bordeaux, même s’il vit modestement, Martinès de Pasqually ne semble pourtant pas manquer d'argent. Cependant, ses affaires semblent empirer, et en 1769, il a 1200 livres de dettes. Le port de Bordeaux est spécialisé dans le commerce du sucre avec Haïti, et il est probable que le fondateur des Élus-Cohens avait lui-même des intérêts sur cette île. Ses beaux-frères s’y étaient installés. En 1772, il décide de partir pour Saint-Domingue pour le recouvrement d'une petite succession qu'il avait eu d'un de ses parents décédé là-bas. Il espérait qu'après ses affaires matérielles seraient plus prospères. Depuis Haïti, il continue d’envoyer ses instructions à ses disciples.
Hélas, le Maître ne rentra jamais de voyage, car il mourut le 24 septembre 1774 à Saint-Domingue. Quelque temps avant sa mort, il avait nommé Cagnet de Lestère, l'un de ses disciples d'Haïti, pour diriger l'Ordre des Élus-Cohen. Mais ce dernier mourut lui-même en décembre 1779. Son successeur, Sébastien de Las Casas, rentra en France en novembre 1780 et mit officiellement en sommeil un Ordre qui, depuis la mort de son fondateur, s'éteignait de lui-même. Martinès de Pasqually n’avait pas consigné par écrit le rituel d’initiation au degré suprême de l’Ordre, celui des Réaux-Croix, par conséquent, ses disciples étaient dans l’impossibilité d’assurer la pérennité de l’Ordre. Par ailleurs, beaucoup de ses membres s’étaient éloignés de pratiques théurgiques trop complexe pour s’enrôler dans mesmérisme, plus particulièrement depuis que le marquis de Puységur avait découvert en 1784 le somnambulisme, qui par l’intermédiaire d’un médium permettait d’enter en contact avec l’autre monde.

Inévitablement, tous ceux qui se sentaient portés vers les sciences de l'invisible, et au premier plan les Élus-Cohens, furent séduits par le somnambulisme. Jean-Baptiste Willermoz n'échappa pas à l'engouement général, et il est probable que cette pratique soit pour beaucoup dans la chute de l’Ordre des Élus-Cohens. En effet, avec le somnambulisme, plus besoin d’ascèse et de rites compliqués pour communiquer avec l’invisible : il suffit de plonger un patient dans le sommeil magnétique et de l’interroger. La pratique montrera hélas que les choses ne sont pas si simples, et Jean-Baptiste Willermoz, qui dans cette mouvance créa la Société des Initié (1785), en fera les frais entre avril 1785 et octobre 1788. Il se rangera ensuite parmi les Martinistes qui, comme Rodolphe Salzmann et Louis-Claude de Saint-Martin, pensaient qu’il est dangereux de vouloir soulever le voile de l’autre monde sans faire un travail de sanctification.

11 – Les disciples

L'Ordre des Élus-Cohen ne comporta jamais un grand nombre de membres. Il compta cependant, quelques femmes, chose rare pour un rite maçonnique à l’époque. Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) fut initié dans cet Ordre en 1765. Dès 1771, il quitta la carrière militaire pour se livrer totalement à ses activités spirituelles. Il devint ainsi le secrétaire personnel de Martinès de Pasqually. Le chef des Élus-Cohen reconnaissait en effet dans ce jeune homme brillant un disciple prometteur, capable de l'aider à organiser le travail déjà entrepris. La collaboration de Saint-Martin fut donc précieuse à Martinès de Pasqually, qui grâce à son aide, réussit à améliorer l'organisation de l'Ordre. Quelques années plus tard, en 1772, il parvint au plus haut degré, celui de Réaux-Croix.

Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), négociant en soieries à Lyon, fut un membre éminent de l’Ordre. Initié dans la Franc-Maçonnerie en 1750, alors qu’il n’a que vingt ans, il occupa rapidement une place importante dans la Franc-Maçonnerie lyonnaise. Il entra chez les Élus-Cohens et devint un disciple zélé. S’il fut séduit par les enseignements de Martinès de Pasqually, il fut quelque peu déçu par les capacités d’organisateur de ce dernier. En effet, l’Ordre des Élus-Cohens était encore en pleine gestation, et son fondateur n’en finissait pas d’écrire les rituels et les instructions destinés au fonctionnement des loges. Jean-Baptiste Willermoz pratiquera la théurgie avec assiduité pendant des années avant d’en retirer quelques fruits

12 – Les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte

Après la disparition de Martinès de Pasqually, les deux disciples que nous venons d’évoquer tentent, chacun à leur manière, de poursuivre le travail de leur Maître. Le premier, Jean-Baptiste Willermoz, intègre la doctrine de la Réintégration dans le rite maçonnique de la Stricte Observance Templière allemande du baron Carl Gotthelf von Hund (1722-1776), Ordre avec lequel il était en relation depuis quelques années. En 1778, lors d’un convent, cet Ordre se réorganise en adoptant cette doctrine et devient celui des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. Jean-Baptiste Willermoz rédige pour les degrés supérieurs de cet Ordre, ceux de Profès et de Grand Profès, des instructions qui présentent, sans la nommer directement, la doctrine de Martinès. Cependant, Willermoz ne transmet pas les enseignements théurgiques de Martinès aux Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. Lors du convent de Wilhemsbad, en 1782, la réforme est adoptée : c’est la naissance du Rite Écossais Rectifié.
Ce rite ne survivra guère à la Révolution française, et avant même la disparition de Jean-Baptiste Willermoz en 1824, il entre en sommeil en France. Il connaît cependant une survivance en Suisse qui permettra à Edouard de Ribaucourt et à Camille Savoire de le faire revivre en France la veille de la première Guerre mondiale.

13 – La voie cardiaque

La pensée de Martinès de Pasqually trouve aussi une continuité hors de la Franc-Maçonnerie à travers Louis-Claude de Saint-Martin. Il abandonne la théurgie, la voie externe, au profit d’une démarche plus intérieure. En effet, après des années de pratique, il juge la théurgie dangereuse, et peu sûre pour trouver le Divin. L'outil et le creuset de l’évolution spirituelle de l’homme doit être, selon Saint-Martin, le cœur de l'homme. Il veut « entrer dans le cœur du Divin et faire entrer le Divin dans son cœur ». C'est dans ce sens que l'on appelle la voie préconisée par Saint-Martin la voie cardiaque. L'évolution de l'attitude de Saint-Martin est due en partie à sa découverte de l'œuvre de Jacob Boehme, dont il s’attacha à traduire les œuvres en français pour les publier. Elle est aussi le résultat logique d’un penchant naturel pour l’introspection. Cependant, les enseignements de Pasqually eurent sur Louis-Claude de Saint-Martin une influence profonde, et il conserva toute sa vie un grand respect pour celui qu'il appelait « son premier instructeur ». Les livres qu’il écrivit sous le nom de Philosophe Inconnu, depuis Des Erreurs et de Vérité en 1775, Le Tableau Naturel en 1782, L’Homme de désir en 1790 ou Le Nouvel Homme en 1792… jusqu’à son dernier livre, Le Ministère de l’Homme-Esprit, publié en 1802, sont tous marqués de la doctrine de Martinès de Pasqually.

Louis-Claude de Saint-Martin aurait transmit une initiation à quelques disciples choisis mais ne créa pas d'organisation initiatique. De toute manière, avec la Révolution française la plupart des loges maçonniques étaient tombées en sommeil et l’époque n’était pas favorable à la création d’un mouvement initiatique. Autour de lui, se constitua un groupe informel, auquel certaines lettres de ses amis font allusion en 1795 sous le nom de « Cercle Intime », « Société des Intimes ». Balzac, dans Le Lys dans la Vallée, témoigne de l'existence de ce groupe de disciples : « amie intime de la Duchesse de Bourbon, Mme de Verneuil faisait partie d'une société sainte dont l'âme était M. Saint-Martin, né en Touraine, et surnommé le Philosophe Inconnu. Les disciples de ce philosophe pratiquaient les vertus conseillées par les hautes spéculations de l'illuminisme mystique ». L'initiation transmise par Louis-Claude de Saint-Martin se perpétua jusqu'au début du siècle par différentes filiations. A la fin du XIXe siècle, deux hommes sont dépositaires de cette initiation : le Docteur Gérard Encausse et Augustin Chaboseau, qui fondent l’Ordre Martiniste vers 1889, c'est la naissance du Martinisme de la Belle Époque.