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Loge de Recherche Laurence Dermott

Rechercher dans la Fraternité et la Tolérance.

Franc-Maçonnerie ou franc-maçonneries (1)

Publié le 22 Février 2010 par Thomas Dalet in Histoire de la Franc-Maçonnerie

Plusieurs franc-maçonneries


Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ? Eh bien je crois qu’il y a une première

clé, essentielle pour essayer de comprendre ce qu’est la franc-maçonnerie, pour

essayer de décrypter la réalité derrière les émissions ou les articles qui paraissent

régulièrement ici ou là. Cette clé de départ c’est qu’il n’y a pas une francmaçonnerie,

il y a des franc-maçonneries. Trois grands courants animent la francmaçonnerie

dans le monde, trois branches bien distinctes.

En France par exemple, et en simplifiant un peu, je dirais que la Grande

Loge de France, le Grand Orient de France, et la Grande Loge Nationale Française,

appartiennent à trois branches différentes de la franc-maçonnerie. Lorsque l’on

regarde une émission sur la franc-maçonnerie, ou qu’on lit un article ou un livre, il

est essentiel pour bien comprendre de savoir de quel courant maçonnique on parle.

Ces trois courants ont bien sur de nombreux points communs, mais ils restent

sensiblement différents, et aucun des trois ne peut se permettre de parler au nom

des deux autres.

Pour ma part, après vous avoir fait vivre rapidement l’histoire d’un demimillénaire

qui à fait naître la franc-maçonnerie dans cette diversité, je vous

présenterai d’abord ce que je crois être les points communs entre ces trois francmaçonneries,

puis j’essaierai de vous faire partager ce qui fonde la spécificité du

rameau maçonnique auquel j’appartiens, auquel appartient la Grande Loge de

France dont je fais partie.


Fondements historiques


Alors un peu d’histoire ! On a longtemps admis communément que l’année

1717 marque la naissance en Angleterre de la franc-maçonnerie dont nous parlons,

celle que l’on appelle spéculative, ce regroupement d’hommes ou de femmes de

tous métiers et de toutes conditions, n’ayant pas de lien particulier avec le métier

de maçon et l’industrie du bâtiment, qui se retrouvent pour penser et échanger,

spéculer, par opposition avec la franc-maçonnerie dite opérative, l’organisation

médiévale des métiers du bâtiment regroupant les franc-maçons, ces maçons ayant

obtenu la franchise de pouvoir travailler pour leur propre compte. Cette date de

naissance est maintenant contestée par nombre d’historiens depuis une trentaine

d’année, et pour ma part je pense qu’elle est fausse, qu’il faut remonter un quart

ou un demi-siècle plus tôt en Écosse, et que 1717 n’est que la naissance d’un

deuxième courant de la franc-maçonnerie.


Les racines de la franc-maçonnerie d’aujourd’hui, spéculative, se retrouvent

bien sûr dans la franc-maçonnerie opérative, l’organisation en confréries ou

compagnonnage des métiers du bâtiment, une franc-maçonnerie opérative que l’on

voit s’organiser dans les manuscrits que nous avons, grosso modo entre l’an 1400 et

l’an 1600. Les compagnons du devoir français placent en 1401 ce qu’ils appellent la

scission d’Orléans, c'est-à-dire en fait leur organisation en devoirs. Dans les iles

britanniques les deux plus anciens manuscrits décrivant une organisation collective

du métier de maçon sont datés entre 1400 et 1450, les maçons de Strasbourg se

donnent des constitutions en 1498 et ceux de Ratisbonne des statuts en 1498. Ces

documents ont tous en commun qu’ils décrivent les devoirs respectifs des maîtres,

des compagnons et des apprentis du métier, devoirs professionnels, devoirs de

solidarité, mais aussi devoirs de comportement, en quelque sorte une déontologie

professionnelle et une éthique de vie. Tout nouvel apprenti devait entendre la

lecture de ces devoirs avant de prêter serment sur la bible : serment de respecter

ces devoirs, mais aussi serment de secret, secret sur l’organisation du métier mais

surtout secret concernant les techniques et tours de main du métier qu’il serait

amené à apprendre.

Ce serment et ce secret se sont perpétués dans la franc-maçonnerie jusqu’à

nos jours. Bien sûr de nos jours cette notion de secret professionnel n’a plus cours,

tout au moins en franc-maçonnerie, où le secret recouvrira d’autres notions, mais

nous y reviendrons.


A la saint Jean d’hiver 1588 se produit en Écosse un autre évènement

important de l’organisation de la franc-maçonnerie, toujours opérative à cette

époque. William Schaw, surveillant général des maçons d’Écosse, et maître maçon

des travaux du roi d’écosse, Jacques VI Stuart, promulgue de nouveaux statuts pour

la franc-maçonnerie écossaise. On ne sait pas bien s’il met en forme une

organisation existante, ou s’il réorganise tout, mais toujours est-il que ces statuts

concrétisent l’existence de loges de francs-maçons permanentes dans les grandes

villes du royaume d’écosse, loges dirigées par des surveillants réélus chaque année.

Jusque là, et pendant un siècle encore en Angleterre, les loges se créaient et se

défaisaient au gré des chantiers, dirigées par le Maître du chantier. A partir de

1598, non seulement les loges existent de façon permanente dans chaque grande

ville d’Écosse, mais en outre elles sont tenues de tenir un registre, ce qui fait que

nous disposons des minutes de fonctionnement d’une quinzaine de loges écossaises

pour tout le XVIIème siècle.

On apprend dans ces minutes des choses très intéressantes. Dès 1637 les

loges écossaises ont commencé à recevoir des personnes n’appartenant pas au

métier de maçon, d’abord proches du métier, donneurs d’ordre, responsables de

l’administration royale ou professeurs de géométrie par exemple, puis des

membres de la gentry de plus en plus éloignés du métier. La loge de Scone et

Perth, ville où l’on couronnait les rois d’Écosse, revendique même d’avoir fait

maçon le roi Jacques VI Stuart, devenu en 1603, à la mort de la reine Elizabeth, roi

d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande sous le nom de Jacques1er. Ce mouvement

d’ouverture de la franc-maçonnerie opérative se continuera en Écosse tout au long

du XVIIème siècle.

A cette même époque il ne faut pas oublier que toutes les îles britanniques

sont ensanglantées par les guerres civiles qui opposent les Stuart à l’église

protestante, presbytérienne pour être précis, et au parlement anglais largement

favorable aux presbytériens.

A la fin du XVIIème siècle, en 1689, Jacques II Stuart,

converti au catholicisme et soutenu par Louis XIV, qui a révoqué l’édit de Nantes, a

été contraint à l’exil en France, puis en 1714 les derniers espoirs de retour au

pouvoir des Stuart sont réduits à néant par l’accession au trône Britannique de

George de Hanovre.

1714 Couronnement de George de Hanovre…

1717 Création de la Grande Loge de Londres…

Quand quatre loges Londoniennes se réunissent pour former la Grande Loge

de Londres, les loges écossaises avaient déjà reçu en leur sein au minimum 134

gentilshommes non maçons de métier parfaitement identifiés et recensés, sans

compter les non identifiés, et six loges écossaises, Aberdeen, Dunblane,

Dunfermline, Hamilton, Haughfoot, et Kelso, étaient déjà constituées en majorité

ou en quasi-totalité de gentilshommes et non de maçons de métier. Le problème

pour le pouvoir anglais est que la majorité de ces franc-maçons écossais est

favorable aux Stuarts ! Churchill relève d’ailleurs que le Maréchal de Berwick

estimait qu’à cette époque 5 écossais sur 6 étaient Jacobites. Le nouveau roi

d’Angleterre n’a pas perdu de temps pour consolider son pouvoir, prolongation et

extension des pouvoirs du parlement anglais majoritairement Whig, et négociation

de la triple alliance au détriment de Jacques II Stuart par exemple.

De là à penser que la création de la Grande Loge de Londres, trois ans après

l’avènement de George de Hanovre, répond à la volonté de contrôle d’une francmaçonnerie

fourmillant de Jacobites, il n’y a qu’un pas, que pour ma part je

franchirai sans trop d’hésitation. A l’appui de cette vision on remarquera que,

quelques jours avant la St Jean d’été de 1722, la Grande Loge de Londres se rend

en délégation auprès de Lord Townshend, secrétaire d’état de George 1er, pour

« l’assurer de son zèle envers la personne de sa majesté et son gouvernement », ce

à quoi le secrétaire d’état leur répond « qu’ils ne craignent aucune molestation de

la part du gouvernement, aussi longtemps qu’ils ne s’occuperont que des anciens

secrets de la [maçonnerie]»


En tout état de cause 1717 ne marque pas la création de la franc-maçonnerie

telle que nous la connaissons aujourd’hui, mais seulement la création d’un

deuxième courant, que l’on pourrait appeler Andersonien, du nom du Pasteur

Anderson qui en rédigera les constitutions, en concurrence avec le courant initial

que j’appellerai Écossais, bien qu’il ait regroupé aussi des irlandais puis des

français, parce qu’il est né en Écosse et a été développé et soutenu par la dynastie

écossaise des Stuart. A l’origine la franc-maçonnerie Andersonienne est plus

dirigiste, elle crée la fonction de Grand Maître, qui n’existait pas dans la francmaçonnerie

Écossaise, elle nomme ad-vitam les présidents des loges, les

Vénérables Maîtres, alors que les loges écossaises sont beaucoup plus

indépendantes et élisent chaque année leurs surveillants. La franc-maçonnerie

Andersonienne est aussi beaucoup plus ouverte sur le plan religieux, astreignant ses

membres « seulement à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord,

laissant à chacun ses propres opinions… », alors que la franc-maçonnerie écossaise

est encore résolument catholique. Mais ces différences vont vite évoluer, en

particulier en France, car ces deux courants vont se développer concurremment sur

le sol Français.


Les premières loges en France vont être écossaises, peut-être dès 1688 dans

le régiment de la garde de Jacques II en exil à Saint Germain en Laye, on en a de

fortes présomptions mais pas la certitude absolue, en tout cas en 1725 où la

première loge parisienne est fondée par de fidèles Jacobites. Le courant

Adersonien ne tardera à franchir la Manche, créant lui aussi sa première loge à

Paris en 1734. A la veille de la Révolution Française, 50 ans plus tard, il y aura 780

loges en France, selon le recensement de Claude Guérillot, dont environ 40% se

diront écossaises. A noter, ce qui ne simplifie pas les choses, qu’à la suite d’une

scission en 1773, ces loges sont regroupées alors en deux organismes nationaux,

que nous appelons obédiences, qui ne recoupent pas du tout cette différence de

courants : Le Grand Orient de France compte 537 loges dont environ la moitié

d’écossaises, et la Grande Loge de France 243 dont un tiers d’écossaises.

La franc-maçonnerie sortira exsangue de la révolution : 30 loges seulement

pour toute la France, et les régimes successifs Premier Empire, Restauration,

Second Empire, tenteront de la maintenir unifiée, et donc contrôlable, sous l’égide

du Grand Orient de France, qui se déclare alors résolument Andersonien, mais les

quelques loges écossaises qui survivent, principalement en Provence et à Paris font

de la résistance, sous l’égide du Suprême Conseil de France, puis de la Grande Loge

de France.


Le XIXème siècle verra l’évolution et la fixation définitive de ces courants.

En Angleterre et aux États-Unis, la franc-maçonnerie, en quasi-totalité

Andersonienne, restera fidèle à la notion d’un Dieu révélé, et n’introduira jamais

dans ses loges de moments de discussion et d’échange en dehors des propos de

table, restant plutôt une sorte de franc-maçonnerie de club, très orientée sur la

bienfaisance. Alors que la franc-maçonnerie française développera dans les loges

de moments de travail sur un thème, de discussion et d’échange qui deviendront

rapidement le coeur des réunions maçonniques. Mais le courant Andersonien, sous

l’égide du Grand Orient de France, et le courant Écossais évolueront très

différemment en ce qui concerne le rapport à la religion ou à la spiritualité, et en

ce qui concerne les objectifs de la Franc-maçonnerie.

En ce qui concerne les objectifs de la franc-maçonnerie, et au risque de

caricaturer un peu, on pourrait dire que le Grand Orient de France, peut-être en

raison de ses rapports étroits avec les pouvoirs successifs, développa très vite dans

ses loges un intérêt pour la résolution des problèmes de société, et au niveau

national chercha à peser sur le pouvoir pour faire avancer les solutions progressiste

qu’il préconisait. Alors que la franc-maçonnerie écossaise, plus discrète se

consacrait principalement au progrès et à l’éducation du franc-maçon lui-même.

Ce qui ne veut pas dire que des francs-maçons écossais n’eurent pas à certain

moments une influence décisive sur une société alors en pleine évolution, mais ce

fut, et c’est toujours, plutôt à titre individuel.

Dans le domaine spirituel, dès avant la révolution, tous les courants de la

franc-maçonnerie faisaient cohabiter sans trop de distinction la notion de Dieu

avec celle de Grand Architecte de l’Univers, utilisant dans leurs textes, selon les

moments, soit l’un, soit l’autre, soit les deux en même temps. Sous l’influence du

positivisme régnant en maître dans la seconde partie du XIXème siècle, la francmaçonnerie

fut obligée de préciser sa pensée dans ce domaine, aboutissant dans

les années 1875 et 1877 à des positions bien différentes. En 1877 le Grand Orient

de France avait abandonné non seulement la notion de Dieu, mais décidait de ne

plus imposer à ses loges la référence au Grand Architecte de l’Univers. De nos jours

ce terme est absent des textes du Grand Orient, qui fait preuve en toutes occasions

d’une laïcité, disons militante. La franc-maçonnerie écossaise, de son côté,

proclamait en 1875 son attachement à un principe qui transcende l’homme : « La

franc-maçonnerie proclame, comme elle l’a proclamé dès son origine, l’existence

d’un principe créateur sous le nom de Grand Architecte de l’Univers. Elle n’impose

aucune limite à la recherche de la vérité, et c’est pour garantir à tous cette

liberté qu’elle exige de tous la tolérance… Le spiritualisme est donc le fond réel

de la franc-maçonnerie. »


On ne peut pas conclure cette fresque historique, qui j’espère ne vous a pas

lassés, sans citer deux évènements importants au tournant des XIXème et XXème

siècles. La première femme franc-maçonne, Maria Deraimes, est initiée le 14

Janvier 1882 par la loge Les libres penseurs, du Pecq, en présence de Georges

Martin avec qui elle créera en 1883 la première loge mixte, Le Droit Humain, qui

donnera naissance à un ordre maçonnique mixte international sous ce même nom.

Et en 1913, Edouard de Ribaucourt, appuyé sur la loge L’Anglaise de Bordeaux,

réintroduira en France la franc-maçonnerie Andersonienne anglo-saxonne en créant

la Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière, qui est devenue de nos jours

la Grande Loge Nationale Française.

Ainsi voit-on cohabiter aujourd’hui en France trois courants de la francmaçonnerie

que je schématiserai, ou caricaturerai ainsi : la franc-maçonnerie

écossaise qui vise d’abord à l’amélioration intérieure de ses membres dans une

spiritualité libre de tout dogme, dont le principal représentant est la Grande Loge

de France, la franc-maçonnerie andersonienne moderne conduite en particulier par

le Grand Orient de France qui vise directement à l’amélioration matérielle et

morale de l’humanité par un humanisme social, et laïc, et la franc-maçonnerie

andersonienne anglo-saxonne, qui exige la croyance en un Dieu révélé, et met

l’accent sur la bienfaisance.

Louis Trébuchet 2008